Le terrain de basket

Comme tous les mercredi après-midi, Sol a rendez-vous avec des camarades de son école sur le terrain de basket. Bien que le terrain ne soit plus entretenu depuis des années, les enfants du quartier y roulent à vélo, en roller, skate ou trottinette et y jouent au basket et autres jeux de balle.
Aujourd’hui c’est basket. Il y a souvent des enfants d’une autre école. On se connait un peu mais à chaque école son panier, sauf quand on organise un match. D’ailleurs, quand Sol arrive, une rencontre est en cours. C’est le mois de Mars et il fait assez froid ; cependant tout le monde a retiré son manteau, voire son pull. On n’est pas obligé de jouer à 5 contre 5, mais il faut qu’il y ait le même nombre de joueur dans chaque équipe.
Sam, un garçon de l’autre école attend pour jouer et quand Sol arrive, Sam lui propose de rentrer sur le terrain. Sol commence doucement pour s’échauffer. Aujourd’hui, on ne compte pas les points, donc il n’y a pas trop de friction entre les deux équipes. Les jours de match, il arrive que le ton monte et c’est mieux quand quelqu’un arbitre. Mais comme l’arbitre vient d’une des deux écoles, il y a toujours des contestations. Bon, aujourd’hui, tout se passe bien même s’il y a beaucoup de grands dans l’autre équipe. Les camarades de Sol sont assez adroits mais les autres récupèrent la plupart des ballons sous les paniers. Heureusement qu’on ne compte pas, car le groupe de Sol aurait été battu.

Au bout de vingt minutes, les enfants décident de souffler et s’asseyent.
Sam – Tu as vu le panneau à l’entrée du terrain ?
Sol – Non, pourquoi ?
Sam – Ils vont construire des logements à la place du parking et du terrain de basket.
(Il y a quelques années, le terrain de jeu a été coupé en deux pour un parking.)
Sol s’écrie « Quoi ? » ce qui attire l’attention des autres enfants. Bientôt, tout le groupe est réuni sous le panneau à l’entrée.

Photo prise le 29 Juin 2021

Comme il y a beaucoup de texte à lire, Sam montre et explique aux enfants les parties importantes : « ça sera un immeuble et 5 maisons, on peut voir les plans à la mairie ». Beaucoup d’enfants réagissent « c’est pas possible ! » « mais où on va jouer ? » « il faut alerter nos parents ». Certains enfants ne disent rien et retournent jouer. Bientôt le basket reprend. Sol a cependant sa tête des mauvais jours et elle voit bien que Sam a l’air contrarié aussi.
Quand le basket s’arrête, de petits groupes se forment. La plupart du temps, chaque école reste sous son panier de basket mais Sol s’approche de Sam.
Sol – qu’est-ce que tu en penses ?
Sam – on a vu le panneau avec ma mère l’autre jour en allant au marché. Ma mère était déjà au courant du projet. Elle m’a expliqué que pour pouvoir faire une construction, on doit faire une demande de permis de construire à la ville. La ville autorise ou non la construction. Quand c’est permis, le constructeur affiche un panneau comme celui qui est à l’entrée.
Sol – et on ne peut pas empêcher la construction ?
Sam – ma mère m’a expliqué qu’une demande d’annulation du permis peut être déposée par des personnes qui seraient pénalisées par la construction, mais il faut engager un avocat qui représentera ces personnes au tribunal.
Sol – les enfants seront pénalisés ! Comment on engage un avocat ?
Sam – les enfants sont mineurs et ne peuvent pas. En plus, ça coûte cher un avocat. Mais j’ai entendu mes parents dire qu’il y a un groupe de personnes du quartier qui sont mécontentes et qu’un collectif de contestation se crée.
Sol – quand même, on a le droit de protester. Il y a un conseil d’école bientôt, je vais en parler à Corinne et Jeannot, les délégués de ma classe.
Sam – bonne idée. Je vais en parler aussi dans mon école. Et je demanderai à mes parents des informations sur le collectif, je te dirai la semaine prochaine.
Assez parlé, tu veux faire un tour de France ?

Le tour de France consiste à faire plusieurs tirs, à partir de différentes positions en arc de cercle autour du panier. Si on joue seule, on gagne si on réussit tous ses tirs. Si on joue à plusieurs, on gagne si on marque le plus de paniers.
Sol est d’accord. Deux de ses amies les rejoignent ainsi que des camarades de Sam. D’habitude, Sol est assez bonne à ce jeu. Elle vient souvent tirer des paniers, accompagné de Philippe – qui lui ne joue pas souvent car ça ne l’intéresse pas toujours. Mais aujourd’hui, elle finit le jeu avant -dernière et se fait battre par Chloé qui a 7 ans. Chloé manifeste sa joie en chantant « je suis la meilleure » mais elle arrête assez vite car Sol ne réagit même pas. Puis, il est temps de rentrer chez soi.

Au dîner, Sol raconte ce qu’elle a appris cet après-midi. Ses parents ont l’air au courant mais ne répondent pas. Sol, qui les connait bien, devinent que ses parents ne sont pas d’accord sur cette question mais ne veulent pas en parler devant elle et Philippe. Elle se promet de laisser trainer ses oreilles pour en apprendre plus : c’est une activité qui lui a valu le surnom d’ « Oreilles qui trainent » quand elle était petite (ou « Skouarn hir » – longues oreilles comme l’appelait sa grand-mère bretonne).

Le lendemain, à l’école, Sol expose la situation à Corinne et Jeannot qui réagissent différemment. Jeannot habite au nord de l’école, il ne joue jamais sur ce terrain et ne se sent pas concerné. Corinne habite aussi au nord de l’école, et ne va pas sur le terrain mais elle sait qu’il est utilisé par beaucoup d’enfants de l’école et elle promet d’en parler au conseil d’école. Sol ne comprend pas la réaction de Jeannot mais elle se doute qu’il en sera pas le seul à réagir de cette manière. Quand elle en parle à Philippe le soir en revenant de l’école, il lui demande quelle est la forme de gouvernement du conseil d’école : totalitaire (comme en Chine ou dans l’ex-URSS), autoritaire (comme en Russie et dans les dictatures), démocratique (comme la plupart des pays d’Europe et d’Amérique).
Sol s’énerve un peu « Tu n’as jamais été à l’école ou quoi ? C’est un conseil démocratique. Les décisions sont prises à la majorité des voix. »
En y réfléchissant, Sol s’inquiète un peu : Jeannot est très populaire et elle a peur qu’il influence le vote des autres délégués.
Le mercredi suivant, Sol fait part de ses craintes à Sam qui lui répond :
« Je comprends. Je vais aussi avoir un problème dans mon école. Ce sont les enfants qui habitent à l’est de l’école qui viennent jouer ici mais les enfants de l’ouest ne viennent jamais. Et je crois qu’il y a plus d’enfants qui habitent à l’ouest, donc sans doute plus de délégués qui habitent à l’ouest. Est-ce que ces délégués vont se sentir concernés ? « 
Sol – tu crois que ton conseil d’école va voter quoi ?
Sam – aucune idée. On verra bien. Tu viens jouer ?

Deux semaines plus tard, les deux conseils d’école ont examiné la question. Sans succès. Dans l’école de Sam, la majorité des enfants habitent à l’ouest et ne sont pas concernés par la suppression du terrain. Et la majorité des délégués du conseil habitent aussi à l’ouest et ont voté contre la protestation. Dans l’école de Sol, la majorité des enfants habitent au sud de l’école et veulent protester. Mais la majorité des délégués habitent au nord de l’école et ont voté contre.
Sol comprend le résultat du vote de l’école de Sam mais elle s’insurge contre son conseil d’école « Les délégués ne respectent pas la démocratie. La majorité des enfants de l’école sont pour une protestation. » Philippe lui explique :
« Le conseil d’école fonctionne sur le principe de la démocratie représentative : l’élection des délégués a donné le droit aux délégués de représenter les enfants de l’école et de prendre les décisions à leur place. »
Sol – N’empêche, les délégués n’ont pas représenté l’avis de la majorité des enfants.
Philippe – Les délégués ne sont pas obligés de consulter les enfants qui les ont élus. Ce que tu voudrais est une démocratie directe où chaque personne peut d’exprimer et possède une voix.
Sol – oui, ça serait génial. Un enfant, une voix.
Philippe – les délégués ont accepté la mission de représenter la classe mais aussi de faire le travail qui va avec. Les délégués manquent la classe pour assister au conseil et doivent rattraper le travail de classe ensuite.
Comment ferais-tu pour réunir tous les enfants de l’école en même temps ?
Et ce n’est pas sûr que tous les enfants veuillent participer …
Sol – je comprends que c’est mieux d’avoir un conseil d’école avec des délégués motivés et pas trop nombreux. Mais quand même les délégués auraient dû tenir compte de notre avis. Comment leur faire entendre ?
Philippe – en France et ailleurs, les gens manifestent pour faire entendre leur avis. Pour organiser une manifestation, il …
Sol s’exclame « Une manifestation, c’est génial. » Elle n’écoute pas la suite et part à toute vitesse en criant « Merci, Philippe. Je vais en parler à mes potes. »

Sol dévale l’escalier, sort de chez elle et court jusqu’à l’immeuble où habite son amie Myriam. Elle sonne à l’interphone. Myriam répond. « C’est Sol, j’ai une idée pour défendre le terrain. » Myriam lui ouvre. Arrivée chez Myriam, Sol lui explique que puisque les conseils n’ont pas réagi, elles pourraient organiser avec les enfants des deux écoles qui iraient protester à la mairie du quartier.
Trois clics plus tard, les deux amies lisent sur la tablette de Myriam : toute manifestation sur la voie publique doit faire l’objet d’une déclaration préalable à adresser à la mairie ou à la préfecture. Vingt minutes plus tard, et un début de mal de tête, Sol et Myriam ont compris qu’organiser une manifestation c’est vraiment compliqué. Nadia, la grande sœur de Myriam, qui les écoute depuis un moment, lève les yeux de son smartphone et intervient : « Vous êtes mineures. Il vous faudra l’accord de vos parents pour manifester et un responsable légal qui vous accompagne. »
Myriam – Tu veux bien nous accompagner, Nadia, s’il te plaît ?
Nadia – j’ai 15 ans, la majorité est à 18 ans. De toute façon, tu n’auras jamais la permission de manifester avec Papa et Maman. Et toi, Sol, tu crois que tes parents seront d’accord ?
Sol – Je ne sais pas. Mes parents parlent du projet de temps en temps. Maman voudrait rejoindre le collectif pour se battre mais Papa pense qu’on a aucune chance d’empêcher le projet et il a peur de dépenser de l’argent pour rien.
Nadia – de toute façon, ce sont les enfants de votre classe et de votre école qui pourraient manifester, vous devriez parler de tout cela avec votre maitresse.
Sol et Myriam sont de bonnes élèves, elles savent que Madame Lemeunier, la maitresse, va les écouter. Mais va-t-elle les aider ?
Sol – bonne idée Nadia, on va lui parler. On fait une partie de 1000 bornes ? Tu veux jouer avec nous, Nadia ?
Nadia – je ne peux pas, j’ai du travail à faire
Myriam (tout bas) – sur ton téléphone portable ?
Les deux amies rient tout bas (c’est un sujet sensible entre Nadia et ses parents et il en vaut mieux pas la provoquer) et se mettent à jouer.

Le soir, au dîner, Sol interroge ses parents « Est-ce que les adultes écoutent les avis des enfants ? » Certainement. Et peut-être même un peu trop. » dit Papa en faisant un clin d’oeil à Sol.
Sol – je veux dire l’avis des enfants sur des questions qui les concernent.
Maman – certaines villes ont des conseils municipaux d’enfants ou de jeunes, mais nôtre ville. Pourquoi poses-tu cette question ?
Sol – les enfants qui jouent sur le terrain de basket s’inquiètent de sa suppression.
Papa – tu sais, la ville n’écoute pas toujours les adultes. Les habitantes et les habitants du quartier ont participé à des consultations sur le projet immobilier et tout le monde était d’accord pour conserver le parking. Pourtant, il sera supprimé comme le terrain de basket.
Mama grommelle puis reprend la conversation « La plupart des adultes pensent que les enfants ne sont pas qualifiés pour prendre part aux débats de la société, mais je connais une enfant qui a su se faire entendre. »
« Greta Thunberg » s’écrie Philippe. (Philippe est un grand fan de Greta Thunberg qui a le même diagnostic d’autisme que lui.)  » Elle a fait connaitre ses préoccupations sur le climat en faisant grève de l’école devant le parlement suédois. »
Sol – c’était une enfant ?
Philippe – une jeune fille, je dirais. Elle avait quinze ans et entrait en troisième. elle a fait grève deux semaines puis ensuite chaque vendredi. C’est devenu un mouvement international, Friday for future, avec des journées de mobilisation internationale où il ya plus d’un million de personnes en grève.
Sol – c’est génial. Je pourrais me mettre en grève le vendredi devant la mairie du quartier.
Papa, qui était en train de boire sa soupe, s’étrangle « Gargl, quoi, gargl, il n’en est pas question, gargl … »
Sol rétorque « Tu as déjà fait grève, n’est-ce pas. Et Tante Alice, elle organise carrément des grèves à son travail. »
Alice, une tante de Sol et Philippe, est déléguée d’un syndicat et elle passe une partie de son temps de travail pour le syndicat et la défense de ses collègues.
Maman répond calmement « Sol, avant d’arriver à la grève, les syndicats discutent avec la direction de l’entreprise et négocient des compromis. »
Sol – j’ai fait poser la question au conseil d’école. La majorité des délégués a voté contre une action pour défendre le terrain de basket.
Papa – et bien, tu vois, ça ne te concerne plus. Il faut respecter le votes démocratiques.
Sol s’emporte – n’importe quoi. La plupart des délégués habitent au nord de l’école et ne se sont pas intéressés à la question qui concernent le sud. Et dans l’autre école, les enfants qui jouent sur le terrain, sont en minorité.
Maman – Sol, on ne dit pas n’importe quoi à ses parents. Mais tu as raison, les différentes opinions ne sont pas toujours représentées, particulièrement les minorités qu’on oublie facilement. Cependant, il y a d’autres moyens de se faire entendre que la grève. Réfléchis et nous en reparlerons plus tard.

Après le repas, Philippe montre à Sol des articles sur Greta Thunberg et ses actions. Sol est enthousiasmée que Greta donne l’exemple en voyageant en bateau et qu’elle ait eu de l’influence sur autant de gens, à commencer dans sa propre famille. Philippe lui montre un post de Greta Thunberg :
 » I have Asperger and that means I’m sometimes a bit different from the norm. And – given the right circumstances – being different is a super-power. »
Il lui traduit : « J’ai le syndrome d’autisme Asperger et cela signifie que quelquefois je suis différente de la norme. Et – dans des circonstances appropriées – être différente est un super-pouvoir. »
Sol – exactement. Et toi aussi, Philippe, tu as le super-pouvoir de trouver des capsules.
Philippe – Sol, la plupart du temps, l’autisme n’est pas un super-pouvoir et les situations sont difficiles pour moi. Pourquoi penses-tu que j’étudie à la maison au lieu d’aller étudier avec les jeunes de mon âge ?
Sol connaît les problèmes de son frère et ne dit rien. Philippe poursuit
– Tu penses que tu te sentiras bien quand des gens vont se moquer de toi en grève devant la mairie ? Et quand des gens qui ne te connaissent même pas vont te discréditer et dire du mal de toi ?
Sol reste muette et réfléchit intérieurement « Non, je n’aimerai pas du tout ça. J’aime qu’on m’aime bien. » et elle ajoute tout haut
– Merci Philippe et bonne nuit. Toi et Maman avez raison, je vais chercher un autre moyen.
Philippe – Bonne nuit. Si tu pars en croisade, trouve une bonne armure pour te protéger.

Le lendemain en allant à l’école, Sol réfléchit. Il se trouve que la maitresse a récemment parlé des croisades en classe. Si elle se souvient bien, les croisades étaient des expéditions militaires vers Jérusalem pour permettre à des pèlerins chrétiens d’aller prier sur des lieux sacrés de leur religion. Quand elle arrive à l’école, un peu en avance, Mme Lemeunier, sa maitresse, surveille la cour. C’est un bon moment pour lui parler. Sol lui dit bonjour et lui explique le projet de suppression du terrain. Mme Lemeunier est déjà au courant.
Sol – les enfants qui jouent sur ce terrain voudraient protester.
Mme L. – les enfants ou toi, Sol ?
Sol – surtout moi, mais je suis sûr que les autres enfants seront d’accord.
Mme L. – peut-être. Ou peut-être pas. Si tu représentes l’avis des autres enfants, il faut pouvoir le prouver. On en rediscutera après. Comment envisages-tu de protester.
Sol lui raconte qu’elle a d’abord pensé à une manifestation puis à une grève. Mme Lemeunier lui demande ce qu’en pensent ses parents. Se rappelant la réaction de son père, Sol préfère changer de sujet « Maman dit qu’un collectif de défense existe mais Papa ne croit pas qu’on puisse empêcher le projet. Si les adultes baissent les bras, les enfants peuvent-ils faire quelque chose ? »
Mme L. – la ville a vendu le parking et le terrain de basket à un constructeur immobilier. Le constructeur a déposé un permis de construire qui a été accepté. Tout est légal. Seule une contestation au tribunal peut faire changer les choses.
Sol – la mairie n’a peut-être pas pensé aux enfants. Et si on ne dit rien la mairie va recommencer.
Mme L. – vous pourriez établir et faire signer une pétition, c’est un texte qui explique votre protestation et qui est signé par les enfants qui sont d’accord.
Sol – d’accord, je demanderai à mon frère de m’aider.
Mme L. – tout ce que tu as appris à cause de ce projet fait partie de ton éducation citoyenne. Tu t’es engagée car tu t’es sentie concernée. Je voudrais que tu fasses un exposé sur un fait historique qui a conduit des personnes à s’engager pour faire changer les choses. En échange, je t’aiderai à transmettre la pétition au maire de notre ville. Qu’en penses-tu ?
Sol réfléchit « Je peux faire l’exposé avec Myriam ? Et demander de l’aide à mon frère ? » Mme Lemeunier connait Philippe qui a été élève à l’école il y a quelques années. Elle répond « D’accord. Maintenant il est l’heure d’aller en classe. »

Le mercredi suivant, Sol arrive au terrain de basket avec quelques copies de la pétition, qu’elle distribue autour d’elle. Elle la lit à haute voix pour les enfants qui sont en train d’apprendre à lire. Intrigués, tous les enfants en train de jouer sur le terrain s’approchent.

LES ENFANTS DU QUARTIER A LA RUE ?

Monsieur le Maire, s’il vous plaît, ne supprimez pas le terrain de basket.
C’est là où nous nous rencontrons, nous amusons et faisons du sport.

NOM | PRÉNOM | AGE | ÉCOLE | SIGNATURE

Sol a beaucoup simplifié la version de la pétition proposée par Philippe.
Philippe avait écrit un texte d’une demi-page et demandé 15 colonnes de renseignements détaillés sur les signataires comme la couleur de leur yeux et leur couleur préférée. Mais ça l’a bien aidé.
Sam – c’est une super idée. Je signe tout de suite et je ferais signer les enfants de mon école. Est-ce que les adultes peuvent signer ?
Sol – je ne crois pas. Sinon on va penser que nous avons été influencés. C’est un combat des enfants.
Le soir, Myriam et Sol discutent en revenant du terrain.
Myriam – tu as une idée pour l’exposé ? La révolution française ? La guerre d’Algérie ? Mai 1968 ? Les gilets jaunes ?
Sol – ça serait bien de trouver un mouvement où des enfants participent. Mais je ne veux pas faire un exposé sur Greta Thunberg. Je ne veux pas parler d’autisme devant la classe.
Myriam ne connaît pas trop l’histoire de Greta Thunberg mais elle connaît bien la famille de Sol et n’insiste pas « D’accord. On va chercher. A demain à l’école. »

Myriam rentre chez elle. Nadia est là. Myriam lui raconte sa conversation avec Sol et ensemble elles consultent des pages Web sur Greta Thunberg. Elles s’arrêtent sur une page de la radio France Culture.
Greta Thunberg et la croisade des enfants de 1212
« Ce sont deux événements qui n’ont a priori rien à voir dans leurs motivations et que 800 ans séparent : le mouvement des jeunes pour le climat et la croisade des enfants de 1212.
En 1212, des milliers d’enfants quittent leur foyer spontanément et traversent la France. Ils se mettent en quête de partir délivrer pacifiquement Jérusalem
. »
Nadia et Myriam regardent la vidéo ici
Myriam pense que ça plaira à Sol, elle lui téléphone et lui dit de se renseigner.
30 minutes plus tard, Sol la rappelle « Quelle histoire triste. Tu crois que c’est ce qui va nous arriver ? » Myriam répond « Pas du tout. C’était il y a 800 ans et on ne sait même pas si c’est vrai. Mais ça va plaire à Mme Lemeunier. » Sol est d’accord « Certainement. On lui en parle demain ? »

Comme Myriam et Sol l’espéraient, Mme Lemeunier a accepté le sujet et elles ont commencé leurs recherches. Quelques jours plus tard, la maitresse les aide à faire le plan de leur exposé :
– Présentation des croisades en Terre Sainte
– La situation au début du treizième siècle
– Le mouvement d’Étienne de Cloyes
– Le mouvement de Nicolas de Cologne
– Les résultats de la croisade des enfants
Sol et Myriam trouvent le plan compliqué. Sol remarque « C’est quand même plus facile que le plan que Philippe m’a proposé. Il y avait 12 chapitres et 25 sous-chapitres. Je suis sûre qu’il est en train d’y travailler … »
Effectivement, Philippe est à fond sur le sujet. Il en parle à chaque repas, ce qui fatigue un peu ses parents. Cela ne dérange pas Sol, elle sait écouter Philippe d’une oreille et penser à autre chose si elle le souhaite. Mais bien écouter si ça l’intéresse, une vraie Skouarn Hir (longues oreilles). Et là ça l’aide pour son exposé.

Le mercredi suivant, les enfants du terrain font le point sur la pétition. Dans l’école de Sol et Myriam, il y a 121 enfants en primaire dans cinq classes et 63 enfants ont signé la pétition. L’école de Sam est plus grande avec 8 classes et plus de 200 enfants, 130 enfants ont signé la pétition.
Ce mercredi, pas de basket pour Sol et Myriam. Elles récupèrent toutes les feuilles de la pétition et rentrent préparer l’exposé qui aura lieu vendredi prochain en cours d’histoire. Elles ont trouvé sur Internet des extraits d’un film de Jacques Moati (1988) : la croisade des enfants.
Le rassemblement des enfants est très spectaculaire, les sources historiques parlent de 30.000 personnes qui ont répondu à l’appel du jeune berger Étienne qui venait du village de Cloyes. Le roi de France, Philippe II, n’a pas soutenu Étienne et ses partisans, et d’après un chroniqueur, cela a provoqué l’effondrement du mouvement, c’est la version que de nombreux spécialistes considèrent comme crédible. D’autres chroniqueurs racontent que les enfants ont rejoint Marseille et ont embarqué sur sept bateaux. Deux auraient péri en mer et les cinq autres arrivèrent à Alexandrie. Les enfants, trahis par les capitaines et les équipages des bateaux, furent alors vendus comme esclaves.
L’autre groupe est parti de Cologne, à l’appel d’un jeune homme appelé Nicolas. Une foule d’hommes, de femmes et de jeunes l’ont suivi et plusieurs milliers seraient arrivés au port de Gènes en Italie. Nicolas croyait que la mer allait s’ouvrir devant la foule, ce qui leur permettrait d’aller à pied jusqu’à Jérusalem.
Sans doute à cause de ce que la Bible raconte au sujet de Moïse et du peuple des juifs : la mer Rouge se serait ouverte en deux leur permettant de fuir l’Égypte, puis la mer s’est refermée sur leurs poursuivants qui se sont noyés.
Malgré leurs prières, la mer ne s’est pas ouverte pour laisser passer Nicolas et ses fidèles. Déçus, certains sont partis à Rome ou à Marseille, d’autres sont restés à Gênes.
A force d’apprendre des choses sur la croisade des enfants, une capsule est apparue : La croisade des enfants

Voilà l’exposé que Sol et Myriam ont fait devant la classe. Sol en tire une morale qu’elle présente en conclusion « La croisade des enfants était soutenue par la foi et la confiance dans la réussite. Personne ne les a soutenus et l’histoire retient ça comme un échec. Mais si on les avait aidé, qui sait ce qui aurait pu arriver ? »
Mme Lemeunier a souri lors de la conclusion et fait un clin d’oeil à Sol. A la fin de la classe, elle appelle Sol et Myriam « J’ai obtenu un rendez-vous samedi prochain à 11H avec l’adjointe qui est la maire de notre quartier. Elle veut bien recevoir 4 ou 5 personnes, je vous accompagnerai et il faut demander la permission à vos parents. » Sol et Myriam poussent des cris de joie.
Mme L. – ne vous emballez pas. Le permis de construire ne dépend pas de madame la maire. Mais il est probable que les personnes en charge du dossier soient mises au courant. Vous avez bien travaillé : pour l’exposé comme pour la pétition.

Le soir au dîner, Sol raconte tout ce qui s’est passé et demande l’autorisation à ses parents. Maman est fière de Sol : cela se voit dans ses yeux et son grand sourire. Papa bougonne pour cacher son embarras mais Sol est sûre qu’au fond il est fier aussi. Les parents acceptent. Après le dîner, Myriam appelle : ses parents n’étaient pas très chauds, mais Nadia a défendu la cause de sa soeur et Myriam a eu l’autorisation d’aller au rendez-vous. Sol appelle Sam et le met au courant. Elle l’entend qui demande à sa mère « Maman, est-ce que je peux aller samedi à la mairie avec Sol et Myriam, deux copines du terrain, pour la pétition ? » puis Sam répond « C’est d’accord » et commence à lui parler du dernier jeu vidéo qu’il a eu à son anniversaire. Après la conversation, Sol s’étonne des réactions si différentes dans les trois familles et, comme d’habitude, elle pense que les adultes sont difficiles à comprendre.

Samedi arrive. Mme Lemeunier les attend devant la mairie. Sol lui présente Sam et le groupe monte au bureau de madame la maire. Celle-ci les salue et les félicitent pour leur initiative. Les enfants lui donnent les feuilles de la pétition et Sam, un peu fanfaron, dit « Vous voyez, Madame, voilà bientôt 200 enfants à la rue. La maire répond avec humour « J’espère que ces enfants sauront retrouver le chemin de leur domicile » puis elle enchaine avec sérieux « La ville a besoin d’attirer de nouveaux habitants et il faut parfois faire des sacrifices pour le bien commun. » La maire explique que tout a été fait dans les règles et qu’une construction réalisée par un promoteur privé n’est pas du ressort de la ville. Sol pense tout bas que c’est la ville qui a vendu les terrains au promoteur privé et que rien ne l’obligeait à le faire. Mais elle est un peu intimidée et ne dit rien. La conversation roule sur les écoles du quartier qui perdent des élèves car la population du quartier vieillit. La maire les remercie et conclut le rendez-vous « Notre ville n’a pas de conseil municipal des jeunes car il y a trop d’écoles. Je proposerai au maire de créer un conseil municipal des jeunes par quartier. C’est votre initiative qui m’a donné cette idée. »
Une fois sortie, Sol ne sait pas si elle est satisfaite de tout ce qui s’est passé. Mme Lemeunier l’encourage « Les enfants, vous avez fait votre part, à votre échelle. » Elle leur dit de lire la légende du colibri, racontée par Pierre Rahbi (que vous pourrez trouver ici).

L’après-midi, Sol se sent vidée et un peu triste. Elle appelle Myriam
– je me demande si tout notre travail a servi à quelque chose. En plus, je déteste la fin de la croisade des enfants.
Myriam – écoute ce que t’a dit Mme Lemeunier. Et viens goûter chez moi. Ma mère a fait des crêpes et il y a du Nutella.
Quand Sol revient de chez Myriam, l’estomac plein et des moustaches de Nutella sur le visage, le moral va beaucoup mieux. Ses parents discutent dans le canapé et l’appellent « Sol, tu nous a fait réfléchir et nous avons discuté du permis de construire avec le collectif. Cela nous a convaincu que certains points du permis sont litigieux et que ce permis devrait être modifié. Nous avons décidé de rejoindre le collectif et de participer à la demande d’annulation du permis de construire. Cela nous coutera un peu d’argent et nous prendra du temps, mais ta détermination nous a encouragé à nous engager. »
Un énorme sourire fait remonter les moustaches Nutella de Sol jusqu’à ses oreilles « Cool. Bravo les parents. »
Et dans sa bonne humeur, elle propose à Philippe de faire une partie de Citadelle, un jeu qu’il adore et où Sol perd presque à chaque fois. Mais, qui sait, elle va peut-être le battre cette fois-ci : les croisades de Sol se terminent bien, en général.