La pêche aux crabes

L’arrivée en vacances

Les vacances d’été sont arrivées. Les parents de Sol ne sont pas très organisés et beaucoup de choses vont se décider à la dernière minute. La seule chose prévue est la période de vacances avec la famille du frère de Papa. Le frère de Papa s’appelle Jean-Bienaimé, tout le monde l’appelle JB. JB est instituteur et il a toujours plein d’idées d’activités. C’est le mari de Viviane – tata Vivi – qui est très sportive. Sol les aime beaucoup. Viviane et JB ont deux enfants : Jennifer, qui a l’âge de Philippe, et Alexandre, l’âge de Sol. Sol adore son cousin Alexandre qui le lui rend bien. Sol et Alexandre évitent généralement d’être trop près de Jennifer qui, sous prétexte qu’elle est l’aînée, a tendance à leur donner des ordres.
Chaque année, au début des vacances, JB et Viviane louent une grande maison à 100 m de la mer à Brétignolles (Vendée). La famille de Sol les y rejoint. C’est d’ailleurs le jour du départ. Papa et Maman ont fini les bagages tard hier soir mais il faut ranger un peu et fermer la maison. Sol aide car elle a hâte de partir. Heureusement, il n’y a que quatre heures de route. Comme d’habitude, la famille d’Alexandre arrivera en premier. Elle habite dans le Nord, c’est plus loin mais leur famille est beaucoup mieux organisée. Tout est prêt la veille et le départ se fait tôt le matin.
Sol a hâte de retrouver Alexandre. Heureusement les parents sont assez efficaces aujourd’hui et les voilà partis à midi avec des sandwichs à manger dans la voiture. Quatre heures plus tard, Papa klaxonne en garant la voiture devant le « Fennec des sables », la maison de vacances d’où sortent immédiatement Viviane, JB, Jennifer et Alexandre. Après de grandes embrassades, tout le monde aide à décharger la voiture.

Une fois les affaires installées, Sol et Alexandre demandent la permission d’aller se baigner puis filent à la plage. C’est une toute petite plage entourée de rochers. La marée est basse et il faut marcher un peu jusqu’à la mer. Après un bon bain, les enfants grimpent sur les rochers et farfouillent dans les flaques. JB leur a appris à bien remettre les pierres en place après les avoir soulevées. Sol et Alexandre dérangent quelques crabes verts, ils sont vraiment trop faciles à attraper. Mais les enfants ne sont pas équipés pour pêcher et rentrent à la maison.
Normalement, Jennifer et Philippe partagent la plus grande chambre. Sol et Alexandre sont dans une petite chambre dans des lits superposés. Jennifer reçoit en permanence des notifications et des messages sur son téléphone portable et ça dérange Philippe. Sol a promis à Philippe de l’aider à changer de chambre et elle explique son plan à Alexandre. Il faudrait échanger le lit de Jennifer avec les lits superposés, Jennifer dormirait seule dans la petite chambre et les trois autres dans la grande chambre. Le Papa de Sol va trouver ça compliqué et fatiguant donc l’objectif est de convaincre JB, Jambon-Beurre comme l’appelle les enfants. Avec JB, le plus court chemin est la ligne droite – c’est un instituteur – donc Sol et Alexandre lui expliquent directement leur plan et qu’on a besoin de lui pour démonter et remonter les lits et pour tout remettre en place à la fin des vacances. Le ton monte souvent entre Jennifer et JB et JB veut éviter des ennuis inutiles : il est d’accord si Jennifer est d’accord. Celle qui s’en sort le mieux avec Jennifer est la maman de Sol. Jennifer fume et c’est un des motifs de tension avec ses parents. Mais la maman de Sol ne lui fait jamais de remarques à ce sujet – à vrai dire, elle fume quelquefois en cachette des enfants – et elle écoute attentivement quand Jennifer lui parle de ses problèmes. Donc Sol va trouver sa mère. Avec sa mère, Sol est plutôt directe car, de toute façon, elle détecte immédiatement quand Sol cherche à l’embrouiller. Sa mère accepte de parler à Jennifer et un peu plus tard tout est réglé, et JB, Sol et Alexandre font l’échange des lits.

Première pêche

Le lendemain matin, les deux familles vont au marché. JB achète un énorme lieu pour midi et Alexandre demande qu’on garde la tête car il voudrait aller pêcher aux balances. Le poissonnier, qui a entendu la demande, fouille dans sa poubelle et lui ajoute plusieurs têtes de poisson.
Après le déjeuner, les adultes se reposent. Sol et Alexandre vérifient les balances et réparent quelques trous avec de la ficelle. Ce qui est compliqué dans cette pêche est d’arriver à déposer les balances au bon endroit et bien à plat. Alexandre montre à Sol une perche que JB a fabriqué avec des tubes en fibre de carbone. Sol est surprise par le poids, ça ne pèse pratiquement rien. Et, d’après Alexandre, la perche est super solide.
Ça commence à bouger dans la maison et on se prépare pour aller à la plage. Philippe ne veut pas venir et demande à sa mère qu’elle lui laisse son téléphone. Il n’y a pas d’internet dans la maison de vacances et Philippe fait des recherches sur les marées : il veut écrire un programme qui calcule les marées hautes et basses. Philippe est bien le seul des enfants à qui les adultes font confiance pour ce genre de choses, car on est sûr qu’il respectera les consignes. Sa mère est donc d’accord.

Arrivés à la plage, Sol et Alexandre veulent aller pêcher tout de suite mais la mer est encore trop haute. Autant aller sur la grande plage voisine pour chercher des trésors dans la laisse de mer. La laisse de mer est constituée de tous les débris amenés par les vagues et qui s’accumulent à la limite de la marée haute. Il faut un adulte avec eux et Tata Vivi veut bien les accompagner. Tata Vivi appelle ça la pêche aux merveilles. Elle décore les rebords des fenêtres avec ce qu’on trouve. Quand elle était plus petite, Sol et Alexandre ramassaient des os de seiche, les décoraient et les faisaient naviguer sur le petit ruisseau qui est à l’entrée de leur plage. Aujourd’hui, Sol cherche des squelettes d’oursins des sables, ce sont de très jolies boules blanches qu’on dirait sculptées. Alexandre s’intéresse surtout au matériel que les pêcheurs ont perdu : morceaux de filet, liège, … quelquefois, il trouve des lignes de pêche avec leur bouchon et même des leurres, des imitations de poissons. Tata Vivi cherche plutôt des bois flottés avec des formes bizarres.

Aujourd’hui, on ne trouve pas grand-chose. Il faudra revenir après la grande marée ou une tempête. Tata Vivi, Alexandre et Sol rejoignent les autres sur la petite plage. JB et le papa de Sol veulent aller pêcher des crabes dans les trous et les anfractuosités des rochers. Ils pêchent avec des crochets pour extraire les crabes qui n’ont pas du tout envie de sortir. Sol et Alexandre s’installent le long d’une grande faille. Sol et Alexandre attachent une tête de poisson à chaque balance. Sol laisse Alexandre amorcer les balances, elle peut le faire mais si elle peut l’éviter, elle préfère.
Une fois la balance amorcée et déposée, il faut attendre quelques minutes. Il faut beaucoup de balances sinon on n’a rien à faire et on s’ennuie. La perche de JB est drôlement pratique, l’année dernière on utilisait une vieille gaffe en aluminium qui pesait très lourd. Sol et Alexandre remontent les balances à tour de rôle. On ne peut pas dire que la pêche soit bonne. Les quelques crevettes sont mises dans un panier et les crabes dans un seau. Il y a seulement des crabes verts et des crabes carrés noirs. Ces noirs, Sol ne les aime pas et elle les rejette à l’eau. Les parents vont aussi demander de relâcher les crabes verts. Sol voudrait les garder dans un aquarium le temps des vacances, elle aimerait avoir des bébés crabes. Il parait que ce n’est pas la saison. JB et le papa de Sol ne pêchent pas grand-chose non plus : quelques petites étrilles.
Au bout d’une heure, Sol et Alexandre décident de rentrer. Les enfants rincent et replient les balances, jettent les têtes de poissons et ramènent les crabes pour les relâcher sur la plage. C’est rigolo de les voir marcher de travers jusqu’à la mer. Philippe leur a montré une vidéo des crabes de l’ile Christmas, une ile entre l’Indonésie et l’Australie. Ce sont des crabes rouges qui vivent dans la forêt. Une fois par an, les crabes quittent la forêt, traversent par milliers les villages pour rejoindre la plage pour se reproduire.

Une course de crabes

Les enfants suivent les crabes en s’amusant à marcher de travers, ce n’est pas si facile. Les enfants se demandent pourquoi les crabes marchent de travers. Alexandre fait observer qu’on n’utilise presque pas nos genoux quand on marche de côté, alors qu’on plie et tend les genoux quand on marche en avant ou en arrière. Il attrape un crabe et observe ses pattes avec Sol : les pattes ne se plient pas en face du crabe mais sur les côtés. Sol fait remarquer que nos genoux se plient vers l’avant mais nos bras se plient sur les côtés. Alexandre propose « asseyons-nous et essayons de nous déplacer à la force des bras. ».

Tata Vivi, qui les observe depuis un moment, les rejoint : « que faites-vous ? ». Les enfants lui expliquent. Elle propose « faisons une course de crabes. » Tata Vivi montre aux enfants une position de yoga qui s’appelle le lotus : les jambes se tiennent ensemble et il est possible de soulever son corps du sol en s’appuyant sur les bras. Ainsi on est dans la même situation que les crabes (sauf qu’on a deux bras au lieu de 10 pattes). Les enfants se mettent face à la mer et arrivent à prendre la posture, ça tire un peu sur les bras. Tata Vivi propose « restons 5 minutes en lotus et respirons profondément. » Effectivement, ça devient plus facile. Tata Vivi dit « On se tourne d’un quart de tour, à mon signal, on fonce vers la mer. 1, 2, 3 … partez » et la voilà partie. Alexandre essaye de se déplacer en faisant des petits bonds sur le côté. Sol observe Tata Vivi qui avance : elle tend le bras qui est vers la mer puis pousse sur l’autre, ça déplace son corps de côté, le premier bras se plie et l’autre se tend. Cela semble efficace car Tata Vivi est déjà à quelques mètres. Sol reproduit le mouvement, d’abord maladroitement puis ça commence à fonctionner. Alexandre abandonne sa technique sautillante pour faire comme elles. Bon, c’est clair que Tata Vivi va gagner, de toute façon, elle est très forte en sport. Elle bat les papas au tennis alors qu’elle n’est pas beaucoup plus grande que Sol. En tout cas, c’est marrant et on a compris pourquoi les crabes se déplacent de travers.
Arrivés à la mer, les enfants rejoignent Tata Vivi qui est en train de se prélasser dans l’eau chaude du bord.

La position du lotus http://freepng.fr

Une brillante leçon sur les marées

Quelques jours plus tard, au dîner, les papas parlent de la pêche. La dernière fois, ils avaient remis leur maigre récolte de crabes à l’eau. Ils veulent y retourner car c’est bientôt les grandes marées. Sol sait que les marées ont un rapport avec la Lune et elle demande à Philippe « c’est quoi une grande marée ? » Les marées sont un des sujets que Philippe étudie en ce moment car il veut coder une application qui calcule l’heure des marées. Sol sait qu’elle va avoir une explication longue et un peu trop compliquée pour elle. Philippe n’a pas ouvert la bouche depuis le début du dîner, c’est l’occasion de le faire participer. Philippe prend un stylo bleu dans sa poche et dessine une sorte d’œil sur sa serviette en papier « Voilà la Terre » puis un rond plus petit à côté « Et ça c’est la Lune »

La théorie des bourrelets d’eau

« Il y a plusieurs forces qui s’exercent sur l’eau des mers et des océans. La résultante de ces forces crée deux renflements d’eau opposés. » Sol « c’est quoi la résultante de ces forces ? » Philippe prend la marmite qui est au milieu de la table et la met exactement entre lui et Sol « Prends une des poignées et tire là vers toi pendant que je fais la même chose de l’autre côté. » Sol tire doucement puis de plus en plus fort. Plus elle tire fort, plus Philippe fait pareil. La marmite ne bouge pas. Philippe explique « tu exerces une force d’un côté, j’exerce la même force de l’autre côté. La résultante des forces, c’est ce qui résulte d’appliquer ces deux forces sur la marmite. Comme nous exerçons la même force mais de manière opposée, la résultante des forces est nulle : la marmite ne bouge pas. » Philippe continue « si ta force est plus grande que la mienne, que va-t-il se passer ? » Alexandre écoute aussi et répond en même temps que Sol « la marmite vient vers Sol » Philippe acquiesce « exactement, la résultante des forces est une force dans la direction de Sol » Philippe demande à Alexandre de venir entre Sol et lui et de tenir la marmite entre les deux poignées « Tout le monde tire doucement, que se passe-t-il ? » La marmite est tirée en direction d’Alexandre. « Stop » Philippe remet la marmite exactement entre Sol et dit « Je ne tire plus. Vous tirez tous les deux doucement. »  La marmite est tirée à peu près entre Alexandre et Sol. Philippe reprend « S’il vous plaît, Sol continue à tirer doucement et Alexandre tire plus fort » La marmite prend la direction d’Alexandre.
Philippe dessine des flèches opposées et de même taille sur la serviette de Sol

Les forces sont égales et opposées, la résultante est nulle.

Puis deux flèches opposées de taille différente.

Les forces sont différentes et opposées, la résultante est du côté de la plus grande flèche.

Puis deux flèches à angle droit

Les forces sont à angle droit, la résultante est en diagonale.

Sol et Alexandre ont à peu près compris – c’est un peu mystérieux les flèches rouges. Sol demande « quel est le rapport avec la marée ? » Les parents écoutent aussi la conversation depuis un moment. Le père de Sol s’apprête à répondre mais sa mère lui fait signe de laisser Philippe parler.
Philippe reprend son dessin de l’œil « Toutes les choses qui sont sur la Terre restent à peu près à leur place à cause de l’attraction de la grosse Terre sur ces petites choses. Mettons que les petites choses soient des particules d’eau – des gouttes d’eau, si on veut. Quand elles sont du côté de la Lune, les particules d’eau sont aussi attirées par la Lune et ça forme le renflement d’eau du côté de la Lune. D’accord ? »
Sol et Alexandre hochent la tête. Philippe remet la marmite sur le dessous de plat au milieu de la table et tourne la marmite pour qu’une des poignées soit dans la direction de leur mère. « Le dessous de plat, c’est la Terre. Maman, c’est la Lune. La Lune attire fortement les particules qui sont devant elle, le renflement d’eau, c’est la poignée. Ok ? »
Philippe fait tourner un peu le dessous de plat et la cocotte. « La terre tourne sur elle-même, un peu de temps a passé, j’ai tourné le dessous de plat. Mais la poignée – le renflement d’eau – est toujours attirée par la Lune, que va-t-il se passer ? »
Jennifer est la première à répondre «la poignée va se réaligner sur la Lune » et elle tourne la marmite dans l’autre sens en direction de la maman de Sol. « Exactement, dit Philippe, cette poignée va faire le tour de la Terre. C’est comme une grosse vague qui parcourt la Terre en sens inverse du mouvement de la Terre. 24 heures plus tard, elle est revenue à son point de départ. Est-ce que la poignée est bien alignée vers la Lune ? »
JB est très impressionné par la manière dont Philippe explique le phénomène et il attend de voir ce que vont répondre les enfants. C’est encore Jennifer qui a la réponse – mais elle est grande, pense Sol, un peu vexée.
« La Lune s’est déplacée car elle tourne autour de la Terre. La vague – la poignée – n’est pas en face de la Lune. »
« Bonne réponse, dit Philippe, il lui faudra encore 50 minutes pour être de nouveau alignée, 24 heures 50 minutes, c’est le cycle des marées et la grosse vague est la marée haute. »
Sol a bien compris mais plusieurs choses la tracassent « en 24 h 50 mn, la vague revient en face de la Lune mais il y a deux marées hautes par jour. Et pourquoi les particules d’eau de l’autre côté de la Terre vont dans la direction opposée à la Lune alors qu’elles sont attirées par la Lune ? »
Les parents écoutent avec attention, personne ne saurait d’ailleurs répondre à Sol.

Philippe reprend « ta deuxième question répond en partie à la première. Au bout de 12 heures et 25 minutes – la moitié du cycle de la marée – la première vague et la Lune sont de l’autre côté de la Terre et c’est la deuxième vague qui fait la deuxième marée haute. Il y a une deuxième force qui entre en jeu : c’est la force centrifuge due à la rotation de la Terre sur elle-même. »
Sol ne connait pas ce mot. Sa mère utilise une centrifugeuse pour extraire le jus des fruits mais elle se demande quel est le rapport avec la marée. Philippe continue « la force centrifuge est la force qui cherche à t’éjecter quand tu es sur un manège ou un tourniquet ; c’est la force qui éjecte le jus des fruits dans la centrifugeuse de Maman. Chaque particule d’eau est soumise à la résultante de la force d’attraction de la Lune et de la force centrifuge due à la rotation de la Terre. Du côté de la Lune, c’est la force d’attraction qui gagne et l’eau va vers la Lune : c’est la première vague. A l’opposé de la Lune, c’est la force centrifuge qui est plus forte et l’eau s’écarte de la Terre : c’est la deuxième vague. Les deux vagues opposées tournent autour de la Terre en 24h 50 minutes et c’est ce qui fait les marées. Les marées basses, c’est le creux des vagues en quelque sorte. » Sol jette un coup d’œil autour d’elle et voit que personne ne souffle mot. Philippe reprend « c’est le principe général mais il faut tenir compte de bien d’autres facteurs comme la configuration de la côte et la profondeur. Il existe même des endroits sur Terre où il n’y a pas de marée, le niveau de l’eau ne bouge pas : on les appelle des points amphidromiques. »

Les adultes sont vraiment impressionnés. Le papa de Philippe est même bouche bée : Philippe est si différent des autres enfants que son père oublie quelquefois qu’il a aussi des talents extraordinaires. Sa mère est fière de ses deux enfants, elle connait le lien spécial qui les unit et qui permet à Philippe de révéler ces aspects remarquables de sa personnalité. Elle profite du moment pour proposer une promenade digestive nocturne. Philippe fait la grimace. JB vient à la rescousse « La Lune est pleine dans quelques jours, tu vas m’expliquer quelle est son influence sur le système des marées. »
Tout le monde aide à desservir et à remplir la machine et les deux familles se mettent en route. Sol et Alexandre en ont assez entendu sur les marées et partent à la recherche de vers luisants. Entre la lumière des lampadaires et le clair de la lune, les vers luisants – qui sont d’ailleurs des insectes et non des vers – ne sont pas faciles à trouver. On arrive à la plage, la mer est basse et on voit que la grande marée approche : il y a beaucoup plus de rochers découverts qu’au début des vacances.

Après cet exposé sur les marées, une capsule est apparue Les marées

Retour à la pêche aux balances

Le lendemain, après le petit déjeuner, Sol et Alexandre décident de retourner à la pêche aux balances. Les enfants préparent le matériel et se mettent en route. Arrivés aux rochers, les enfants détachent des moules et en remplissent un seau plein. Il faut marcher un peu car la mer est loin. Les enfants voudraient aller au bord de l’estran mais une grande faille leur barre le passage. Ni une, ni deux, les enfants se déshabillent et mettent leurs habits dans leur panier. Il vaut mieux garder ses chaussures car on ne sait pas sur quoi on pourrait marcher. Le panier au-dessus de leur tête, les enfants entrent dans l’eau avec précaution car elle est un peu froide. La traversée s’effectue sans encombre. Sol et Alexandre frissonnent quand l’eau atteint leur ventre. Heureusement le trou n’est pas plus profond que leur poitrine. Il faudra faire attention à ne pas rentrer trop tard sinon on ne pourra plus retraverser la faille.

Arrivés au bord des rochers, Sol déplie les balances pendant qu’Alexandre écrase les moules avec une grosse pierre. Les moules écrasées sont mises dans un petit sac en filet et un sac accroché à chaque balance. Cela permet aux crabes et crevettes d’être attiré par l’odeur et d’arracher des morceaux de moule au travers le filet. Et ça évite de devoir jeter des moules à chaque lancée de balance. Le soleil chauffe de plus en plus. Les enfants sèchent et décident de rester en maillot, ce sera plus simple pour le retour. Les enfants pêchent des crevettes, mais pas de bouquets (les grosses). On pêche aussi des tas de crabes verts, comme toujours, et une étrille de temps en temps. Sol n’aime pas tellement manger des étrilles car les pinces sont vraiment petites et c’est beaucoup de travail. Les parents apprécient les étrilles, et au moins, on a le droit de les ramener à la maison (même si c’est pour être manger alors que Sol voudrait les garder dans un aquarium).
Alexandre appelle Sol « viens voir ce drôle de crabe. Il est vert pâle et sa carapace est toute molle. » Les enfants sont intrigués et décident de le garder et de le ramener à la maison. Il est d’ailleurs l’heure de rentrer, la mer commence à remonter. Sol et Alexandre retraversent la grande faille, il est temps car l’eau leur arrive jusqu’au cou. Une fois de l’autre côté, Alexandre arrache des laminaires et se les met sur la tête. Sol sourit. Quel clown ! Avec cette perruque d’algues brunes, il ressemble à sa sœur mais Sol ne lui dit pas : ça le vexerait.

Glazib

Revenus à la maison, Sol et Alexandre vont déposer leur pêche à la cuisine et montrent à JB et à la mère de Sol leur drôle de crabe vert pâle. JB leur dit « c’est un crabe qui vient de faire sa mue. C’est étonnant de l’avoir pêché. Comme il est très vulnérable à cause de sa carapace molle, il reste généralement caché et ne mange pas en attendant de durcir un peu. » La mère de Sol ajoute « ta grand-mère bretonne appelait un crabe comme celui-là un crabe poltron. Sans doute car il se cache. » Sol « pourquoi est-il mou ? ».
JB est passionné de pêche et connait bien le sujet. Il amène souvent sa classe au bord de la mer pour observer la faune (les animaux) et la flore (les plantes) marines : « Les crustacés ont un squelette externe, la carapace. Le squelette des jeunes humains grandit continuellement pendant la période de croissance. Celui des crustacés grandit par étape à chaque mue. Ton crabe mou est sorti de son ancienne carapace dure. Il a arrêté de manger il y a quelques jours et il a bu beaucoup d’eau. Que s’est-il passé à votre avis ? »
Sol pense à sa grand-mère qui a les jambes gonflées. Sa mère lui a expliqué que les reins de sa grand-mère ne font plus correctement leur travail et n’éliminent plus les liquides en les transformant en urine. Elle demande « les crabes gonflent ? » JB répond « exactement. Et ensuite ? »
Alexandre pense au gonflement des ballons de sport, ils ont une enveloppe de caoutchouc solide mais l’entraineur dit toujours que si on les gonfle trop, ils vont éclater. Il propose « les crabes éclatent ? ».
Sol imagine la scène qu’elle trouve drôle (et un peu cruelle). JB sourit « pas tout à fait. Le crabe a des lignes spéciales sur la carapace. La carapace se fend le long des lignes et à sa jonction avec l’abdomen. Puis l’arrière du crabe s’ouvre et ton crabe est sorti à reculons. Comme quand tu sors ta main d’un gant ou le pied de ta botte. »
Sol réfléchit qu’elle retient sa botte avec l’autre pied pendant qu’elle retire son pied, et demande « Est-ce qu’un autre crabe l’aide ? »
JB explique « le crabe mou sort d’abord son abdomen et les huit pattes qui lui servent à pousser la vieille carapace. Cela lui permet d’extraire son corps, sa bouche et ses pinces en dernier. Le crabe mou se débrouille tout seul, il ne peut pas faire confiance à un autre crabe qui pourrait l’attaquer pour le manger pendant qu’il est sans défense. »

JB prend le crabe vert et le retourne. « Observez l’abdomen » dit-il aux enfants « il est large et arrondi, c’est une femelle. » Alexandre sait reconnaître le sexe des crabes « Oui, l’abdomen des mâles est étroit et triangulaire. »
JB reprend « Après la mue, le crabe va se gonfler d’eau, la carapace molle va grandir puis durcir. Il faut du calcium pour cela et il arrive que le crabe mange son ancienne carapace, riche en calcium. Les femelles muent juste avant l’accouplement. Elles émettent des phéromones, des molécules chimiques qui attirent les mâles et les préviennent qu’elles vont être fécondables. Est-ce que vous avez déjà vu deux crabes verts l’un sur l’autre ? »
Alexandre en a déjà pêché sous des algues avec une épuisette et hoche la tête.
JB reprend « Attirés par les phéromones, les mâles se rencontrent et se battent entre eux. Le plus fort monte sur la femelle et la tient avec sa deuxième paire de pattes. Il peut toujours se déplacer avec les trois dernières paires et se défendre avec ses pinces. »
Alexandre essaye de grimper sur le dos de Sol et imite les pinces de crabe avec ses doigts. Sol proteste et le repousse. Les enfants commencent à chahuter.
JB les sépare « Revenons à notre femelle crabe. Le mâle la garde prisonnière jusqu’à la mue. Après la mue, il la retourne et les crabes copulent face à face. » Sol et Alexandre pouffent de rire. Ils ont compris et « copuler » est un drôle de mot. JB reprend « Les crabes peuvent rester collés quelques jours. Cette position protège la femelle qui est vulnérable. Dans certaines espèces, les mâles pourraient vouloir manger les femelles et les femelles émettent des hormones qui les calment. »

Précopulation. Le mâle chevauche la femelle, qui n’a pas encore mué.
© CC BY-SA. Auguste Le Roux sur Wikipedia.
Accouplement montrant les positions respectives de l’abdomen femelle, vert, au premier plan, et de l’abdomen mâle, rouge.
© CC BY-SA. Auguste Le Roux sur Wikipedia.

Sol pense que ces femelles sont drôlement malignes et demande « Qu’est-ce qu’on va faire de notre femelle molle ? »
JB propose « Elle risque de se faire manger si on la remet comme cela à l’eau. Le mieux est de la garder quelques jours et de lui donner des crevettes mortes. Quand elle aura durci, on la remettra à l’eau. »
Très contents, les enfants décident de lui donner un nom. La mère de Sol fait une recherche dans DORIS, la base de données de la faune et la flore marine. Elle leur montre la page de l’espèce Carcinus maenas, on l’appelle aussi crabe enragé, favouille, crabouillard et glazib en breton. « Crabouillard » plaît à Alexandre. Sol propose « Glazib » et il accepte. Sol et Alexandre vont chercher une bassine et y transfèrent Glazib et l’eau de mer du seau.
Sol demande « Est-ce que Glazib va pondre des œufs ? »
JB « ça m’étonnerait. Même si un mâle a déjà déposé son sperme, elle peut le garder des mois dans une poche spéciale, qu’on appelle la spermathèque. Elle ne pondra pas avant d’avoir durci et d’être en sécurité. Au moment de la ponte, les œufs passeront dans la spermathèque et seront automatiquement fécondés. Tu as déjà vu des femelles avec des œufs ? » Sol réfléchit et répond « Des crabes, je ne crois pas. Des crevettes grainées, oui. D’ailleurs, tu nous dis toujours de les remettre à l’eau, ces crevettes-là. JB « Oui, ça protège l’espèce. Même si seulement quelques larves sur des centaines de milliers qui vont éclore vont atteindre l’âge adulte. Comme les femelles crevettes, les femelles crabes portent leurs œufs sous leur abdomen et les retiennent avec leurs appendices. Les femelles bougent les appendices pour faire circuler l’eau et oxygéner les œufs. Lorsque les œufs vont éclore, cela donnera des tas de zoé, les larves de crabes. »

Une femelle et sa ponte.
© CC BY-SA. Auguste Le Roux sur Wikipedia.
Une zoé, larve de crabe vert.
Domaine public sur Wikipedia.

Sol et Alexandre trouvent avoir appris assez de choses sur les crabes et demandent à aller à la plage. Il faut trouver de jolis cailloux et des algues pour aménager la cuvette de Glazib.

Les aventures de pêche de Sol et Alexandre ne sont pas finies.
Tu les retrouveras dans « La pêche à la crevette »

Et tout ce qu’on appris sur la pêche à pied est dans la capsule La pêche à pied